Text by Anne Malherbe for exhibition catalogue Hommes sans Histoires, Musée des Arts Dernier Editions
Duncan WYLIE- Afterparty
La série Afterparty de Duncan Wylie tient presque de l’hallucination visuelle. Sur un ciel bleu extatique ou sur un fond désespérément blanc, un bulldozer entre en collision avec un bâtiment qui s’effondre dans un fracas de pierres et de poussière. Le contraste entre la violence de la scène et le fond absolument vierge sur lequel celle-ci est suspendue paraît irréel. Ces images ne sont pourtant pas de pures inventions, puisqu’elles prennent leur source dans la presse israélienne au moment du retrait de Gaza, où l’artiste s’est rendu, en août 2005.
Mais ce sont aussi des images sans références chronologique ou géographique évidentes, sinon, peut-être, la lumière vive et le palmier emporté dans la démolition générale qui suggèrent un pays chaud. C’est que ces peintures ont au moins une autre fin, celle de parler, en des termes empruntés à une situation différente, du « nettoyage » qui a eu lieu en juin 2005 au Zimbabwe et sur lequel aucun document visuel n’a pu être publié.
La superposition des lieux autorise à généraliser le propos d’« Afterparty », expression de ce que la violence possède à la fois de saisissant et d’insaisissable. De saisissant, parce que les toiles nous présentent des instants d’une rare intensité : celui où la pelleteuse jette à terre les tuiles du toit, celui où un bulldozer s’enfonce dans le mur, celui où le bras mécanique de l’engin fouille sous les combles de la maison. D’insaisissable, parce que la scène immobilise précisément ce moment où l’on ne sait plus ce qui est détruit (les maisons abattues sont méconnaissables) et où l’on ignore tout du futur de ces lieux. Elle tient en suspens une situation qui n’est déjà plus réelle ou ne l’est pas encore.
C’est dans cet intervalle que s’insère la peinture, intervalle auquel celle-ci apporte son supplément de réalité : les fortes diagonales qui s’entrechoquent ; la maîtrise de la couleur, tantôt intense et électrique, tantôt floutée ; la présence paradoxale du fond, qui illumine vivement la scène mais la fait aussi ressentir comme déplacée, et qui parfois, entièrement blanc, tend à l’engloutir.
La peinture arrête et transforme cet entre-deux chronologique. Le squelette de l’immeuble dépecé se liquéfie en filaments de couleurs, la terre soulevée se fige en éclats de pâte, la poussière est d’une blancheur phosphorescente. D’autres possibilités que celles que l’histoire a choisies sont encore ouvertes. « Afterparty » reste un épisode à inventer.
Anne MALHERBE